L'évolution du roman : 1. le récit lignager
Jusqu'au XIe siècle, les récits narratifs sont presque tous des hagiographies. Il s'agit de textes que l'on pourrait qualifier de "biographiques" qui se concentrent sur le destin d'un individu qui se convertit au christianisme et traverse une succession d'aventures toutes plus pénibles les unes que les autres qui le conduisent inéluctablement au martyre. La plupart des hagiographies sont rédigées en latin, puisqu'elles sont l'oeuvre de clercs. Elles seront cependant traduites ou adaptées en langue vernaculaire tout au long du Moyen Âge, afin de leur assurer une plus large diffusion auprès d'un public qui ne maîtrise déjà plus du tout le latin.L'hagiographie se pose comme le principal concurrent du roman qui fait son apparition.
Parallèlement au genre hagiographique se développe un premier type de roman aux intentions plutôt politiques et historiques. Ces romans portent en eux l'idée de fondation urbaine ou lignagère. Le roman connaît là sa première étape. En étroite parenté avec le genre des chroniques, les romans lignagers évoquent, sur un mode parfois mythique, les conditions d'établissement d'une dynastie ou encore la façon dont s'est constitué un espace (une région, une ville, un pays). On peut citer en exemple Le Roman d'Alexandre, Le Roman de Thèbes, l'Enéas, le roman de Troie, et bien d'autres encore qui font l'apologie d'un lignage. Ces romans ne sont pas seulement écrits dans le but de divertir le public; ils ont également des fins politiques et servent d'outils de propagande aux descendants des illustres lignages auxquels ils sont consacrés et à qui ils sont adressés. Il s'agit avant tout d'asseoir l'autorité de ces descendants et de donner une légitimité aux personnes qui détiennent le pouvoir en inscrivant leurs ancêtres dans un contexte à la fois merveilleux, épique et mythique. C'est entre 1130 et 1160 que ce genre se développe le plus. Le roman lignager se fera plus discret pendant le XIIIe siècle et réapparaîtra au XIVe siècle avec Le Roman de Mélusine qui explique et légitime la présence de la famille Lusignan dans le Poitou.
Le roman, donc, est très lié à l'aristocratie; plus précisément, à une aristocratie laïque qui porte ses propres valeurs et n'est pas forcément vue d'un très bon oeil par l'Eglise.